Janvier 2025
Du renouvellement de l'agrément d'Anticor, par Éric Alt et Élise Van Beneden
Résister, c'est créer, changer le rapport au pouvoir, proposer des alternatives. Résister à la corruption, c'est un combat culturel, une entreprise de transformation sociale, une lutte pour la préservation d'un bien commun.
Sans contre pouvoir, sans vigilance citoyenne, la corruption n'a pas de limite. Lors de son festival « La corruption en images », Anticor a proposé le documentaire L'Affaire collective d'Alexandre Nanau. Il décrit une situation extrême : le système de santé roumain rongé par la corruption. L'affaire commence par l'incendie d'une discothèque, puis le film se concentre sur le destin des grands brûlés. Du fait des détournements de fonds massifs, les hôpitaux manquaient de tout, même de produits pour la désinfection. Certains patients n'étaient pas soignés. Le film montre les images de la chair d'un blessé encore vivant et dont les plaies étaient rongées par la vermine. Ce corps humain livré à la corruption était la terrible métaphore d'un corps social lui-même corrompu.
En France, la corruption est aujourd'hui systémique. Ce système prospère par de multiples décisions individuelles, qui méprisent l'intérêt général. Mais, comme l'explique le Tract, pour résister aux abus de pouvoir et agir en justice pour lutter contre l'impunité, Anticor a besoin d'un agrément du gouvernement, qui doit être renouvelé tous les trois ans.
2024, la fin d'un long combat
L'agrément avait été délivré en 2015 et renouvelé en 2018. En 2021, les choses se compliquent. Anticor a sans doute agacé le pouvoir, en s'attaquant à des manquements à la probité jusqu'au plus haut sommet de l'État. Cependant, le 2 avril 2021, Jean Castex met fin à cette attente en signant l'arrêté de renouvellement.
Mais la formulation de l'arrêté est alambiquée et entachée d'erreurs. En résumé : bien que la situation de l'association ne paraisse pas satisfaisante, les engagements que celle-ci a pris permettent néanmoins de délivrer l'agrément. Lors des débats devant la juridiction administrative, le rapporteur public qualifie cette rédaction de « curiosité », rappelant qu'un texte officiel ne doit pas refléter les états d'âme de son rédacteur. C'est à se demander à quoi sert le secrétariat général du gouvernement, qui relit les textes avant leur signature par le Premier ministre. Anticor dispose donc d'un agrément vulnérable. Il est attaqué et la juridiction administrative fait le choix de censurer cet arrêté bien mal rédigé en juin 2023.
C'est le début d'une aventure administrative et judiciaire, face à l'inertie du gouvernement. En effet, Anticor demande un nouvel agrément dès la fin juin à Élisabeth Borne, alors Première ministre. Celle-ci reste silencieuse pendant près de six mois, avant de découvrir qu'elle se trouve potentiellement en situation de conflit d'intérêts : elle est impliquée dans le dossier des concessions autoroutières, signalé au parquet par Anticor. Elle transmet alors le dossier à Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères. Tous les espoirs sont permis : le site de ce ministère célèbre l'action de la France dans la lutte contre la corruption. Il soutient que notre pays « place la société civile au cœur de la lutte contre la corruption ». Mais la ministre laisse expirer les délais, ce qui vaut refus implicite du renouvellement de l'agrément. C'est une décision discrétionnaire, non motivée. Si la France donne des leçons à l'étranger, elle ne donne pas l'exemple. Puis ce gouvernement démissionne et Gabriel Attal est nommé Premier ministre. Anticor demande à nouveau le renouvellement de son agrément en janvier 2024. Dans le silence de l'administration, un nouveau refus implicite d'intervenir en juillet 2024.
Mais pendant les Jeux olympiques, Anticor remporte une première épreuve devant le juge administratif, qui ordonne au Premier ministre de motiver son refus. Cependant, l'administration persiste dans son inertie. Anticor doit encore gagner une seconde épreuve, au terme de laquelle le juge administratif condamne l'État à se prononcer sur l'agrément sous astreinte de 1 000 euros par jour. Le jour de son départ, le Premier ministre obéit enfin au juge et renouvelle l'agrément. La décision juridictionnelle est respectée, même si un article du Canard enchaîné éclaire d'un autre jour cette décision. Le 10 septembre 2024, il écrit : « Avant de passer, non sans regrets, les clés de Matignon à Michel Barnier, Gabriel Attal a pris une ultime décision : le renouvellement de l'agrément à l'association anticorruption Anticor. Un coup de pied de l'âne à Emmanuel Macron qui, en découvrant cette décision, a "piqué une énorme colère", selon plusieurs proches. »
Anticor renforcé par les épreuves
Durant les 440 jours sans agrément, Anticor a gagné des adhérents et des dons. D'abord, de nombreux citoyens ont manifesté leur indignation face à l'arbitraire du gouvernement. Ensuite, d'autres nous ont rejoint dans l'enthousiasme suscité par le retour de l'agrément.
Anticor a aussi bénéficié de soutiens marquants. Un appel est publié en janvier 2024 par lequel 181 personnalités du monde intellectuel et artistique dénoncent un conflit d'intérêts structurel : « Nous demandons à nos députés de modifier le fonctionnement actuel de l'agrément qui nous paraît contraire aux intérêts de notre démocratie. Que ce soit le garde des sceaux ou des membres du pouvoir exécutif qui accordent à Anticor son agrément, sa capacité à saisir la justice, cela nous semble présenter un risque évident de conflit d'intérêts. Nous estimons que c'est une autorité indépendante ou le Défenseur des droits qui devrait donner aux associations qui le réclament le précieux sésame qui leur permet de jouer pleinement leur rôle de contre-pouvoirs. En un mot, nous ne pouvons pas considérer comme normal que nos contre-pouvoirs dépendent de la volonté du pouvoir. »
75 000 citoyens signent une autre pétition : « La lutte contre la corruption est fondamentale pour assurer l'égalité devant la loi, la confiance des citoyens envers leurs représentants et pour préserver l'intégrité de notre système politique. Il est impératif que des organisations comme Anticor soient soutenues dans leur mission. »
Cette période sans agrément n'a pas été perdue pour Anticor. Le combat culturel a continué sur tous les fronts. En particulier, Anticor a créé un Datalab afin de mobiliser l'intelligence artificielle pour détecter les anomalies en matière de marchés publics. Et ce n'est pas la seule initiative.
Certes, quelques dossiers sensibles ont été retardés du fait de l'absence d'agrément. Mais « ce qui ne tue pas rend plus fort ». Dans presque tous les départements, dans les universités et les écoles, dans les services publics et certaines sociétés, des citoyens entrent en résistance. Ils savent qu'il n'y a pas de bon gouvernement sans exemplarité et pas de société corrompue heureusement. Ils apprennent à se réapproprier un pouvoir dont ils ont été dépossédés.
Anticor n'a jamais arrêté son combat. Et l'association a toujours célébré, lors de la cérémonie annuelle des prix éthiques, des citoyens qui méritent la reconnaissance pour leur action contre la corruption : des lanceurs d'alerte et aussi des chercheurs, des journalistes, des personnalités du spectacle et des personnalités politiques exemplaires. En 2024, Bernard Lavilliers a été primé pour sa chanson Corruption, figurant dans l'album Sous un soleil énorme :
Positives et inquiètes
Boursoufflées et pourries
Corruption ordinaire
De la démocratie
Y a pas de transparence
Dans la génuflexion
[...]
Éteignez les lumières
Je suis la corruption
Je suis la corruption
Éric Alt, Élise Van Beneden
Janvier 2025