Les post-scriptum de Tracts
Vincent Duclert. Post-scriptum à Premiers Combats

21 juin 2024

Afin de documenter les luttes concrètes contre l'antisémitisme qui ont valeur d’exemplarité, d’universalité même, un corpus de textes de combat et de déclarations d’engagement est maintenant à la disposition de tout public.

Vincent Duclert. Post-scriptum à «Premiers Combats»

Paru le 1er décembre 2021, ce Tract se fondait sur le constat d’une affirmation croissante des propos mais aussi des actes antisémites, une réalité d’une particulière gravité dans un  pays ayant été très loin dans la promotion d’un antisémitisme d’État devenu un instrument de la «solution finale» nazie. Plus que complice, la France à travers ses autorités collaborationnistes de Vichy a été perpétratrice de la destruction des juifs d’Europe entre 1940 et 1944. La Résistance intérieure et extérieure, l’opinion publique métropolitaine se sont émues de leur sort. Mais leur sauvetage n’a jamais été un priorité politique, militaire ou même morale, sauf de personnes individuelles dont certaines ont été reconnues comme «Justes parmi les Nations».

En dépit d’efforts réels pour regarder en face cette histoire nationale de trahison de populations françaises ou réfugiées et de participation à leur anéantissement, et simultanément l’histoire européenne des États totalitaires et des processus génocidaires, il n’a pas été possible de construire une volonté collective de rejet fondamental de l’antisémitisme et du racisme. La loi, le savoir, la conscience, la morale, n’y ont rien fait malgré les espoirs suscités par le «plus jamais ça» face à la Shoah.

Refusant le désarroi qui aurait pu les paralyser, les rares survivants des centres de mise à mort de l’État nazi ont poursuivi une œuvre admirable de connaissance et de pédagogie, dont les camarades regroupés au sein de l’Union des Déportés d’Auschwitz (UDA). Je les ai bien connus. Ce Tract du 1er décembre 2021, Premiers Combats, leur était précisément dédié.

Aujourd’hui, le président de l’UDA Raphaël Esrail n’est plus, comme son ami Elie Buzyn. Demeurent leurs camarades Ginette Kolinka et Esther Senot. Elles continuent de mobiliser leur témoignage et de le partager avec nombre d’élèves et de professeurs, alors que cèdent graduellement les digues érigées contre l’antisémitisme. Ces survivants savent très précisément vers où aboutissent les préjugés de «race», le repli identitaire, le renoncement à la liberté. Les propos et les actes antisémites ont explosé[1] depuis l’attaque terroriste du Hamas et l’engrenage des ripostes anti-palestiniennes du gouvernement israélien sur lesquels se penche la justice pénale internationale.

Cette hausse gravissime n’avait pas attendu le tournant du 7 octobre 2023, entraînée par l’effet d’une triple affirmation mettant les juifs en danger, pour leur judéité et en tant que minorité : l’affirmation portée par l’islamisme les désignant comme des ennemis existentiels à anéantir ; celle de la gauche radicale française, groupée dans La France insoumise dont des dirigeants et militants, à commencer par leur leader Jean-Luc Mélenchon et ses provocations antisémites y compris dans la minimisation de l’antisémitisme qui sous-entend qu’il serait une invention des juifs et la preuve de leur domination ; celle enfin de l’extrême-droite passée d’un antisémitisme identitaire et viscéral à un philosémitisme essentialisant les juifs, et les sortant de l’histoire. L’accoutumance à la haine des juifs a progressé dans la démocratie républicaine alors que celle-ci a une relation singulière avec lui.

L’objectif du Tract de 2021 était de souligner, déjà, la gravité du fait antisémite en France, et de rappeler qu’il n’y a pas de fatalité dans l’impuissance des démocraties à le combattre. Des exemples historiques dont l’affaire Dreyfus prouvent des luttes, sinon victorieuses, du moins décisives, contre l’antisémitisme aux multiples formes, déjà, à cette époque. Avec le risque de la coagulation, de la cristallisation : l’antisémitisme idéologique et antirépublicain d’un première extrême droite en pleine ascension ; la persistance d’une culture de préjugés dans les milieux intellectuels, littéraires et conservateurs ; l’antijudaïsme dominant de l’Église catholique ou du moins de larges fractions d’entre elle ; la doxa antisémite des mouvements socialistes et ouvriers érigeant le capitalisme juif en exploiteur du prolétariat. L’ayant professée dans les années 1890, Jaurès, accompagné de ses proches dont Gustave Rouanet, comprend avec l’affaire Dreyfus la faute mortelle commise par ce qui était tenu, à l’époque, pour l’extrême gauche. Jaurès devient alors un acteur central des luttes contre l’antisémitisme au tournant du siècle.

En cela, ces luttes d’il y a plus d’un siècle, constitutives d’une République imaginée, s’apparentent bien à des « premiers combats » déposant dans la mémoire des États et des sociétés démocratiques un fondement éthique aussi bien que pratique. Ce passé nous oblige, hier comme aujourd’hui et comme demain. 

Afin de documenter ces luttes concrètes qui ont valeur d’exemplarité, d’universalité même, un corpus de textes de combat et de déclarations d’engagement est maintenant à la disposition de tout public, en accès libre à cette adresse : Premiers Combats – 2021-2024 – Corpus et bibliographie 

Nous rappelons aussi le recueil inédit En attendant la victoire. Message au général de Gaulle et à la France libre paru en avril 2024, également aux Éditions Gallimard en collection «Folio histoire inédit», intégrant des documents importants sur l’extermination des juifs en France et en Europe et des déclarations appelant à leur protection. On se souviendra que la formule « premiers combats » est empruntée à Jean Moulin et son Premier Combat.

Vincent Duclert
21 juin 2024

[1]. 1 676 actes antisémites ont été dénombrés en 2023 par le rapport annuel du CRIF, soit quatre fois plus qu’en 2022.