26 juillet 2024
François Jost. Post-scriptum à «L'Opinion qui ne dit pas son nom»
Depuis la parution de ce Tract en mai 2024, qui s’efforçait de définir ce que pouvait signifier le pluralisme pour les médias, deux décisions ont été prises par l’Arcom, qui ont contribué à en préciser le périmètre. La première consiste à mettre en application l’exigence du Conseil d’État de tenir compte, pour l’expression pluraliste des courants de pensée, des interventions de l’ensemble des participants au programme diffusé, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités. La seconde a été l’attribution des fréquences de la TNT.
Le Conseil d’État avait donné six mois à l’Autorité pour trouver une nouvelle façon de concevoir le pluralisme. Plusieurs pistes, que j’ai rappelées dans ce Tract, avaient été proposées par les chercheurs, mais le président de l’Arcom s’était contenté d’envisager en février un « faisceau d’indices » dans la durée : thématiques traitées, pluralisme des intervenants, etc. Le 18 juillet, respectant le délai fixé, un communiqué de presse indique que l’Arcom pourra « apprécier l’existence éventuelle d’un déséquilibre, manifeste et durable, dans l’expression des courants de pensée et d’opinion s’appuyant sur un faisceau d’indices : la diversité des intervenants, des thématiques et des points de vue ». En six mois, rien de nouveau, donc. D’autant que l’article 3 de la délibération de l’Arcom prévoit que l’éditeur doit fournir à l’Autorité les éléments lui permettant de s’assurer du respect de cette obligation. Quels sont ces éléments ? Comment les éditeurs procèderont-ils pour repérer ces points de vue ? « Il n’est pas question pour le régulateur ni de cataloguer, ni de ficher, ni d’étiqueter les intervenants – animateurs, journalistes, invités », mais quelle sera la méthode mise en œuvre ? Plutôt que nous le dire, l’Arcom se défausse sur les éditeurs.
La façon d’évaluer le pluralisme des différents courants de pensée est radicalement différente de celle utilisée pour les politiques. Alors que, pour ceux-ci, est mesuré le temps de parole, pour les autres courants de pensée, aucune méthode de mesure n’est proposée et les chaînes ne sont tenues que de formuler des critères qualitatifs, forcément discutables. Pour les chaînes d’information, ce contrôle se fera sur trois mois. Et le déséquilibre devra être « manifeste et durable » pour donner lieu à une mise en demeure. En d’autres termes, il faudra qu’une nouvelle étude montre des anomalies dans le pluralisme, les thèmes abordés, les personnes invitées pour que la vérification du pluralisme soit entamée. Retour à la situation de départ qui a motivé la démarche de RSF.
En réalité, si l’on veut évaluer le pluralisme dans l’après-coup, il serait beaucoup plus pertinent de procéder à des analyses discursives ou sémiologiques prenant en compte non seulement les thèmes mais la mise en scène des débats, comme je l’ai proposé dans ce Tract.
Venons-en à la seconde action de l’Arcom : l’attribution des fréquences de la TNT.
Comme je l’imaginais, deux solutions se présentaient à l’Autorité : reproduire l’existant ou faire place à de nouveaux entrants. C’est la seconde qui a été adoptée, entraînant du même coup l’élimination de C8 et NRJ12. Si la suppression de NRJ12 n’a pas provoqué beaucoup d’émotion, la non reconduction de la chaîne de Bolloré a suscité des réactions vives, qu’elles saluent le courage de l’Arcom ou qu’elles crient au déni de démocratie. Qu’une chance ait été donnée à de nouveaux projets paraît plutôt sain, mais l’on a plutôt retenu dans les médias la non-reconduction de C8.
Le lecteur de ce Tract ne s’en étonnera pas. Le nombre impressionnant des sanctions prises à l’encontre de la chaîne justifie, dans sa gradation même, qu'après les mises en demeure, les mises en garde, les amendes, arrive la sanction suprême : le retrait de l'autorisation.
Éric Ciotti, président du groupe À droite ! dénonce un « scandale démocratique ». Marine Le Pen enchaîne : « Pour le pouvoir, le pluralisme est insupportable. » Parler de scandale revient à refuser le règlement d’un jeu que l’on a accepté ou à refuser d’obéir aux clauses d’un contrat que l’on a signé. Les opposants à la décision du Conseil, essentiellement venus de la droite dure ou de l’extrême droite, recourent implicitement à une conception d’un pluralisme externe, dans laquelle C8 représenterait légitimement un courant d’opinion sans obligation d’accueillir ceux qui s’y opposent.
Si le non renouvellement de la fréquence de C8 est donc logique, dès lors qu’on accepte les règles imposées, on peut s’interroger en revanche sur la mansuétude envers la chaîne CNews. Nombre d’études ont montré le fort tropisme de la chaîne vers l’extrême droite et, depuis, le masque de l’opinion est tombé. Pour lutter contre la gauche, Sophie Davant s’est vue écartée brusquement de l’antenne d’Europe 1, en urgence, pour laisser la place à Hanouna. Le Monde a montré comment ce qui était présenté comme un programme de débat et de décryptage s’est transformé en une émission de propagande politique en pleine période électorale. Si l’on applique les critères formant un faisceau d’indices proposé par l’Arcom, CNews sature tous les indicateurs d’un déséquilibre dans la représentation du pluralisme. Comment expliquer alors qu’elle soit passée entre les gouttes ? La raison profonde est la confusion entre opinion et information. Le Conseil d’État comme l’Arcom considèrent que CNews est une chaîne d’information. Pourtant, commenter l’actualité sans laisser beaucoup de temps aux faits eux-mêmes n’est pas de l’information. Tous les journalistes apprennent que la loi essentielle du journalisme est de séparer le fait du commentaire. L’autorité de régulation ne prend pas suffisamment en compte les genres télévisuels : le débat ne remplace pas l’exposé et l’explication d’un situation. Il faudrait pour juger les chaînes des critères beaucoup plus fins, comme ceux proposés par la linguistique, la pragmatique ou la sémiologie.
François Jost
26 juillet 2024